Europe : l’indispensable Union

Rembrandt - Abduction de l'Europe
Rembrandt - L Enlèvement d Europe

Europe : l’indispensable Union

By Ambassadeur Jean-David Levitte, Président du Conseil de fondation du GCSP

Face à la crise du coronavirus, l’Union Européenne a été absente, pire : divisée. Son image en a été gravement atteinte. Les États ont réagi en ordre dispersé et, sans concertation préalable, ont presque tous immédiatement fermé leurs frontières, portant un coup grave à un symbole de l’Union : Schengen. Les deux premiers pays les plus durement touchés, l’Italie et l’Espagne, qui avaient déjà dû faire face seuls aux crises migratoires, n’ont bénéficié d’aucune solidarité. Enfin, sur le plan financier, à l’opposé de la BCE qui a rapidement et massivement pris les décisions nécessaires, les États membres ont longuement étalé leurs divisions entre les «Frugal Four» conduits par les Pays-Bas et soutenus par l’Allemagne, et les pays du «Club Med» vigoureusement soutenus par la France, avant de prendre de premières et bonnes décisions comme la suspension du pacte de stabilité.

Les conséquences de ce déficit d’Europe sont graves : il nourrit les sentiments anti-européens, en Italie notamment, et encourage certains dirigeants, en Hongrie comme en Pologne, à porter de nouveaux coups aux valeurs démocratiques qui sont au cœur du projet européen. Certains commentateurs soulignent que la santé ne fait pas partie des compétences communautaires. Certes, mais la solidarité est la raison d’être de l’Union et il était choquant de voir la Chine, mieux que l’Europe, montrer partout ses avions livrant les masques et les respirateurs dont l’Italie manquait cruellement. D’autres commentateurs ont souligné qu’aux États-Unis les conflits de compétence entre l’État fédéral et les gouverneurs ne sont pas très différents des débats entre Bruxelles et les États membres. Peut-être, sauf que l’existence même des États-Unis n’est mise en doute par personne. Celle de l’Union européenne, elle, peut être menacée si, par exemple, le maintien de l’Italie dans la zone euro était demain mis en danger, par les marchés ou par les électeurs italiens.

Un rebond européen est nécessaire et urgent. Est-il possible ? Oui, si l’on se souvient de la réaction de l’Europe à la crise financière de 2008 qui menaçait la survie de l’Euro. La chance de l’Union en ce moment décisif fut d’être placée sous présidence française : Nicolas Sarkozy convoqua à l’Elysée le premier sommet de la zone euro et, avec l’énergie qu’on lui connaît, obtint un consensus sur les décisions nécessaires. La chance de l’Union en 2020 est la présidence de l’Allemagne au deuxième semestre. Angela Merkel, lors de sa précédente présidence, au premier semestre 2007, avait réussi à faire aboutir le traité de Lisbonne. Elle va jouer demain sa place dans l’Histoire et elle le sait. Elle est convaincue que l’avenir de l’Allemagne est totalement lié à celui de l’Union. Jusqu’à présent, la Chancelière est restée en retrait, se concentrant sur la gestion, réussie, de la crise en Allemagne. Mais elle prépare activement sa présidence, en liaison avec la Commission dirigée par Ursula von der Leyen, et en dialogue soutenu avec le Président Macron.

L’enjeu est colossal : le budget de l’Union pour les sept prochaines années, plus de mille cent milliards d’euros, doit impérativement être adopté avant fin décembre. C’est lui qui fixera les montants alloués à l’agriculture, aux régions, à la recherche, etc… La nouvelle Commission veut à juste titre y ajouter de nouvelles priorités pour établir la souveraineté européenne face aux États-Unis et à la Chine dans les industries stratégiques que sont l’intelligence artificielle et la maîtrise des données, la robotique et les batteries électriques. Enfin, la Commission a présenté un ambitieux «Green Deal» pour faire de l’Union le leader mondial dans la lutte contre le changement climatique, avec comme objectif la neutralité carbone en 2050. Aucun de ces objectifs n’est remis en cause et c’est essentiel. Mais s’y ajoute désormais le débat difficile sur le gigantesque financement des conséquences économiques de la crise du coronavirus. S’y ajoutent enfin de difficiles décisions sur l’avenir de nos industries, et pas seulement celle de la santé, dans une mondialisation à revoir.

Dans ces mois décisifs, le destin de l’Europe va d’abord reposer sur la capacité d’entente et d’impulsion de deux dirigeants : Angela Merkel et Emmanuel Macron, comme il fut porté aux origines de l’Union européenne par de Gaulle et Adenauer puis, en d’autres moments décisifs, par les couples Giscard d’Estaing/Schmidt, Mitterrand/Kohl et Sarkozy/Merkel.

 

Cet article a été originellement publié sur le site de l'Académie des Sciences Morales et Politiques (Institut de France).

 

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