La prise de Marioupol devient pressante pour Vladimir Poutine

La prise de Marioupol devient pressante pour Vladimir Poutine

La prise de Marioupol devient pressante pour Vladimir Poutine

By Dr Jean-Marc Rickli, Head of Global and Emerging Risks

Chercheur au Centre de politique de sécurité de Genève, Jean-Marc Rickli décrypte le début de la bataille du Donbass et doute que Moscou puisse y obtenir une victoire rapide.

La Russie a lancé dans la nuit de lundi à mardi son offensive en préparation depuis plusieurs semaines afin de prendre le contrôle de la totalité du Donbass, soit les deux provinces de Lougansk et Donetsk, dans l’est de l’Ukraine. Les forces russes ont intensifié leurs frappes dans la région, mais aussi contre d’autres villes dans le pays, dont la capitale Kiev et sur Lviv, dans l’ouest du pays, très loin de la ligne de front. Bien que ces frappes puissent contribuer à terroriser la population, leur but premier était de détruire des infrastructures, des sites logistiques et des usines d’armement. L’usine près de l’aéroport international de Kiev qui a produit les missiles Neptune responsables de la destruction du Moskva, le vaisseau amiral de la flotte russe en mer Noire, a été frappée par les missiles russes.

Selon le renseignement militaire britannique, les Russes prévoiraient d’a$aquer le Donbass sur trois axes. Les a$aques depuis les provinces de Lougansk
et Donetsk visent plutôt à "xer les forces ukrainiennes ainsi qu’à de les réduire. Au nord, les forces russes se concentrent autour d’Izium et poussent à l’est
et au sud pour faire pression sur Slaviansk et Severodonestk notamment. L’o!ensive depuis le sud est limitée par le fait qu’une partie des forces russes
sont toujours a!ectées à la conquête du port de Marioupol, qui résiste toujours. La Russie espère toutefois prendre en tenaille l’armée ukrainienne
retranchée sur la ligne de front du Donbass, couper son ravitaillement et progressivement éliminer ces forces. Au sud-ouest, les troupes russes font face à
des a$aques ukrainiennes qui visent à reprendre Kherson.


Lire aussi: L’indignation des Ukrainiens peut être un avantage militaire

Selon les estimations du Pentagone, l’armée russe aurait déployé environ 70 0000 soldats (soit 76 BTG ou groupements tactiques interarmes) dans la
bataille du Donbass. En face, l’armée ukrainienne a engagé ses unités les plus aguerries, car elles y sont stationnées depuis 2014. On compte un ratio
minimum de trois contre un entre les assaillants et les défenseurs pour que l’o!ensive soit couronnée de succès. Il est très probable que l’armée
ukrainienne aligne plus de 25 000 hommes dans le Donbass, même en considérant les pertes subies depuis le début du con#it. Le compte n’y est donc
pas pour l’armée russe, qui va très probablement essayer de compenser ce ratio négatif par sa puissance de feu.

Lire encore: Dnipro, la ville refuge où l’Ukraine panse ses plaies

C’est la raison pour laquelle la prise du port de Marioupol devient pressante. Non seulement, elle libérerait des troupes, jusqu’à une douzaine de BTG ou
environ 10 000 hommes. Le 9 mai prochain, la Russie commémorera aussi la victoire contre l’Allemagne nazie, alors que Moscou a%rme vouloir
«dénazi"er» l’Ukraine. Avec la prise de Marioupol, Vladimir Poutine pourra présenter une victoire tactique minimale mais hautement symbolique. Mais
cela implique que les derniers défenseurs de Marioupol sous l’aciérie d’Azovstal, y compris le bataillon Azov accusé par Moscou de nazisme, aient été
dé"nitivement vaincus.

 

Résistance insoupçonnée

La chute de Marioupol est annoncée comme imminente depuis des semaines. Or il est extrêmement di%cile de venir à bout de soldats enterrés. L’armée
russe pourrait ainsi être tentée d’utiliser des armes chimiques aussi bien à Marioupol que dans le Donbass. Souvenons-nous qu’historiquement ces armes
avaient été utilisées pour la première fois durant la Première Guerre mondiale en 1915 alors que le con#it s’enlisait dans les tranchées. Cependant, une fois
ces armes employées, les soldats russes devraient évoluer dans des milieux contaminés et on peut éme$re des doutes légitimes sur leur capacité à le
faire.

Au vu de ce que les troupes russes ont montré jusqu’à maintenant, il est très improbable que la Russie puisse obtenir une victoire dans tout le Donbass
avant le 9 mai. A moins que l’armée ukrainienne ne s’e!ondre, nous nous dirigeons probablement vers une guerre de positions. Une o!ensive russe audelà
du Donbass jusqu’à Dnipro pour contrôler toute la partie à l’est du #euve Dniepr me paraît à ce stade irréaliste.

Du côté ukrainien, un facteur clé de la résistance des unités au Donbass sera la capacité de maintenir un lien logistique avec l’ouest du pays pour
notamment recevoir les armes livrées par les Occidentaux. Le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou, en accusant les Occidentaux de prolonger la
guerre en fournissant des armes à l’Ukraine, a implicitement reconnu l’importance de ce soutien pour l’armée ukrainienne.

 

Cette option a été publié originalement sur le site Le Temps. Les Opinions publiées par Le Temps sont issues de personnalités qui s’expriment en leur nom propre. Elles ne représentent nullement la position du Temps.

Clause de non-responsabilité : Les vues, informations et opinions exprimées dans les publications écrites sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles du Centre de politique de sécurité de Genève ou de ses employés. Le GCSP n'est pas responsable et ne peut pas toujours vérifier l'exactitude des informations contenues dans les publications écrites soumises par un auteur.

Dr. Jean-Marc Rickli is the Head of Global and Emerging Risks at the Geneva Centre for Security Policy (GCSP) in Geneva, Switzerland. He is also a research fellow at King’s College London and a non-resident fellow in modern warfare and security at TRENDS Research and Advisory in Abu Dhabi. He is a senior advisor for the AI (Artificial Intelligence) Initiative at the Future Society at Harvard Kennedy School and an expert on autonomous weapons systems for the United Nations in the framework of the Governmental Group of Experts on Lethal Autonomous Weapons Systems (LAWS). He is also a member of The IEEE Global Initiative on Ethics of Autonomous and Intelligent Systems and the co-chair of the NATO Partnership for Peace Consortium on Emerging Security Challenges Working Group.